IVG par téléconsultation en France: entretien avec Dr. Philippe Faucher

Philippe Faucher est gynécologue-obstétricien, il dirige l’unité d’orthogénie à l’hôpital Trousseau à Paris. Il est spécialiste de l'avortement, de la contraception et du suivi gynéco-obstétrical des femmes vivant avec le VIH. Il fonde en 2004 REVHO, le Réseau entre la Ville et l'Hôpital. Ce réseau met en oeuvre les nouvelles réglementations concernant l’avortement en ville, c’est-à-dire en dehors des établissements de santé. REVHO permet par la formation des professionnels et l’information des patientes, un accès plus large et de qualité à l’avortement. Depuis 2019, Philippe Faucher est éditeur associé pour la revue British Medical Journal Sexual and Reproductive Health.

 

par Clémence Chbat*

 

Pouvez-vous vous présenter? Quels sont les éléments de votre parcours professionnel et personnel vous ayant amené à vous intéresser aux avortements?

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Je suis gynécologue-obstétricien de formation. En 1995, alors que je voulais rester à l'hôpital public, on me propose un poste de responsable du centre d’orthogénie. En général, on allait vers des spécialités “plus prestigieuses” [rires]. Mais je voulais rester à l'hôpital, donc j’ai accepté. J’ai été formé “sur le tas” si on peut dire car il y avait à l’époque très peu de formation à l’IVG [Interruption Volontaire de Grossesse] et à la contraception. Je démissionne pour d’autres motifs. Je me retrouve sans hôpital et vais alors accepter un poste à l’hopital de Saint-Denis [en région parisienne], et vais y rencontrer Danielle Hassoun, qui est une référence dans l’avortement! Elle m’a intéressée, m’a embarquée avec elle au Vietnam, en Tunisie, en Afrique du Sud...pour faire des formations. Depuis cette date, j’ai travaillé à l'hôpital Bichat puis à l'hôpital Trousseau où je travaille encore sur la contraception et l’IVG. J'écris des articles quand je peux.

Que diriez vous du parcours des femmes qui désirent un avortement médicamenteux en France?

Pour moi, il y a un problème d’accès et de délais pour prendre un rendez-vous. 

Par exemple, moi je propose un rendez-vous par Doctolib, ça facilite l’accès, mais ce n’est pas le cas de beaucoup de médecins. Il y a une “philosophie cocooning” en France, il faut les entourer, il y a des conseillères... il y a un clivage ou une petite opposition entre les partisans d’un accès très direct, à la mode anglosaxonne ou nordique, et les partisans d’un entretien avec une conseillère, les avoir au téléphone pour prendre un rendez-vous etc.

L’accès direct leur évite de multiplier les rendez-vous, mais ce n’est pas le cas partout, et le téléphone peut sonner dans le vide. Le défaut d’accès est ce qui caractérise les inégalités territoriales. Par exemple, entre la petite couronne à Paris et la grande couronne, ou entre les milieux citadins et ruraux, il y a une vraie différence. 

Pour moi, le plus gros enjeu est de pouvoir accéder rapidement à l’avortement. Et la télémédecine permet cet accès rapide.

Pourquoi selon vous il y a ce clivage?

[Hésite] je ne sais pas.. Je ne voudrais pas dire quelque chose qui n’est pas fondé.

Pouvez-vous me décrire les premiers jours du confinement en France dans votre service, avant la prise de mesures gouvernementales? Qu’avez-vous mis en place dans votre service par exemple ?

J’ai fait une vidéo qui a beaucoup circulé, qui disait aux femmes de ne pas avoir peur de venir consulter. Pour la partie hospitalière, il y a le site ivglesadresses.org pour que les femmes n’hésitent pas à consulter. J’ai envoyé un mail à tous mes confrères médecins répertoriés, pour  proposer une formation à l’IVG par aspiration par anesthésie locale, qui se fait en un jour. J’ai eu beaucoup de réponses, alors qu’avant j’avais peu de réponses. Là ça a été un bénéfice du covid. 

Ça a donc été un peu d’activisme, une tribune dans le Monde, qui demandait l’allongement des délais de 14 à 16 semaines [d’aménorrhée], et le lancement de l’IVG par télémédecine.

Lorsque le Ministre de la santé a dit je vois pas de rapport entre l’IVG et la pandémie, on lui a un peu ouvert les yeux, avec cette tribune du monde politique, médical, culturel. Cela a permis de pointer les incohérences, comme l’hospitalisation entre 7 et 9 semaines [d’aménorrhée]. La DGS [Direction Générale de la Santé] a bougé, on peut faire une IVG jusqu’à 9 semaines sans hospitalisation. Ou récupérer les médicaments à la pharmacie. Par contre, ils ont refusé de prolonger l’avortement jusqu’à 16 semaines [d’aménorrhée].

Ils ont accepté la télémédecine même s’ils ont très peu diffusé cette information. Ça n'a pas tellement marché. 

Ils se sont rendus compte qu'il y avait des incohérences comme par exemple l'utilisation du Géméprost. Ce médicament se conserve au congélateur, ça devenait impossible de proposer l'IVG sans hospitaliser les femmes entre 7 et 9 SA. Ils ont donc été obligés de revoir les recommandations et de remplacer le Géméprost par le misoprostol comme cela se fait partout dans le monde.

Le Ministre de la Santé a saisi la HAS [Haute Autorité de Santé], ça a été bénéfique. Ils ont émis des recommandations depuis un mois, où il y a suppression de l’hospitalisation jusqu’à 9SA.

Mais après les recommandations, il faut que ça passe en pratique. 

Avez-vous eu des retours de médecins, ou vous-même avez-vous pratiqué l’IVG par télémédecine?

Sur 350 membres de REVHO, 50 ont répondu à notre questionnaire, un seul médecin a fait des consultations de A à Z. Les autres faisaient surtout de la télémédecine pour une consultation par exemple pour la visite de contrôle. Mais la télémédecine c’est pas ça!

Et vous-même, avez-vous pu mettre en pratique?

Le problème c’est que ça ne concernait que la médecine de ville, pas les hôpitaux. Ça n'a pas été pensé pour les hôpitaux. Du coup je ne pouvais pas facturer ces soins. J’ai fait 5 consultations par télémédecine. Les patientes étaient ravies. Mais elles ont eu des problèmes avec les pharmaciens. Elles se sont même cassées la figure avec les pharmaciens. Il fallait que le pharmacien soit averti par le médecin etc. alors qu’avant, c’était le médecin qui allait chercher ces médicaments à la pharmacie.

On avait fait un petit questionnaire d’acceptation, mais petit hein. Les femmes n’ont pas regretté, et l’idée qu’elles n’aient pas à venir dans un centre d’orthogénie leur a plu. Il y a en a une qui m’a dit “oui même psychologiquement, c’est stigmatisant, il y a le coté un peu lourd de ce service d’avortement”

Là, elle descend pour chercher ses médicaments à la pharmacie, elle les prend, elle fait comme une fausse-couche, une autre m’a dit: “je l’ai beaucoup mieux vécu que si j’avais dû le faire dans un centre d’IVG je crois”. 

Et d’autres confrères à l'hôpital?

Sur l'hôpital je suis le seul à faire des IVG.

Les autres médecins ne l’ont pas fait. La facturation est différente entre la ville et l'hôpital. La pharmacie centrale de l'hôpital a un budget qui est inclus dans le budget général de l'hôpital. En ville c’est différent.

Selon vous est-ce un outil à pérenniser après l’état d’urgence?

Tout à fait! Ils ont encore oublié l'hôpital, donc il faudrait que la télémédecine soit accessible partout. Les médecins de ville n’ont pas envie, ils ont besoin d’être bien encadrés. Si nous à l'hôpital on se met à le faire, on pourra publier des études françaises, publiées en français, montrer qu’il n’y a pas eu de complications en France.

Mais ces études existent...

Même si ces études existent, on est chauvin vous savez! A REVHO, on va en faire une. On va demander quels sont les médecins qui sont prêts à le faire, et on va faire des études d’acceptabilité pour les femmes pour que ça diffuse. Il y a toujours beaucoup de réticences. Alors pour arriver à le faire sans test (sans échographie, sans test rhésus), il va falloir du temps pour alléger le processus. Il existe encore des femmes qui viennent avec 3 échographies! 

Il y a la peur de la grossesses extra-utérine, la peur de la justice, et il y a toujours quelqu’un pour décrire un cas, une femme, qui a faillit mourir d’une GEU... Mais on va la prendre en charge très vite, et au contraire, si le taux de B-HCG ne diminue pas, on saura la prendre en charge, et vite!

En France, des médecins qui exercent au mépris de la démarche scientifique, au mépris des études internationales... Regardez Raoult durant la crise de la covid! 

Est-ce que vous ne pensez-pas qu’il y a un problème de formation?

Si, il y a une grosse faiblesse en France de la formation post-universitaire. Mais j’ai beaucoup d’espoir avec les jeunes généralistes, médecins, sages-femmes. Avec les jeunes, ça va aller. Mais vous avez des médecins de 40 à 60 ans qui ne se forment pas, qui ne vont pas aux congrès. Ceux-là vous ne les verrez pas malheureusement.

 

 

* Cet entretien est réalisé par Clémence Chbat, sage-femme et étudiante en master de santé publique à l’Ecole des Hautes Etudes de Santé Publique en France. Son stage se déroule avec Women On Web autour de l’avortement par télémédecine en France. Afin d’étayer ses recherches, elle interroge des experts et acteurs de terrain pour mieux comprendre les enjeux autour de ce sujet.