En Italie, l'avortement n'en finit pas de faire des vagues

ROME | Le 22 mai 1978, la loi dite 194 légalisait l'avortement en Italie où il était considéré jusqu'alors comme un crime. Quarante ans plus tard, le sujet reste controversé dans un pays où le poids de l'Église catholique pèse fortement sur les débats.

C'est la ville de Vérone qui a relancé la polémique en votant il y a quelques jours une motion portée par un conseiller municipal de la Ligue (extrême droite), permettant de financer les associations catholiques opposées à l'interruption de grossesse.

Il n'en fallait pas plus pour raviver la polémique entre pro et antiavortement, le pape François fournissant mercredi des arguments à ces derniers en assimilant l'interruption volontaire de grossesse (IVG) au recours à « un tueur à gages » lors de son audience hebdomadaire.

À Vérone, une manifestation contre cette décision communale et «pour un avortement libre, sûr et gratuit» est prévue ce samedi à l'initiative d'une association féministe.

Une tempête dans un verre d'eau selon le maire de droite, Federico Sboarina, pour qui la motion «n'est pas contre, mais au contraire favorable. Favorable à la valeur de la vie et pour accroître la liberté des femmes» en les aidant «à surmonter les raisons, qui peuvent aussi être économiques, qui pourraient entraîner une interruption de grossesse».

«Rien de scandaleux» non plus pour le ministre de la Famille Lorenzo Fontana, l'un des représentants de la Ligue au sein du gouvernement populiste au pouvoir en Italie, qui estime que la motion ne fait qu'appliquer la loi «en aidant une femme à choisir, de sorte qu'elle puisse porter sa grossesse à son terme».

La loi 194 prévoit qu'une femme puisse effectuer une IVG au sein d'une structure publique jusqu'au 90e jour de grossesse et jusqu'au 5e mois dans le cas d'un avortement thérapeutique (anomalie dépistée sur le foetus ou grossesse dangereuse pour la femme enceinte).

Pour certains défenseurs de l'avortement, en revanche, le cas de Vérone n'a rien d'anodin et témoigne en réalité de l'influence grandissante de l'Église catholique dans le système de santé italien, aussi bien dans ses structures de soins que dans la formation des médecins.

Objecteurs de conscience

«On a de plus en plus d'hôpitaux qui ouvrent leurs portes, grâce au soutien financier du Vatican quand l'hôpital public, lui, dispose de moins en moins de moyens», explique à l'AFP la gynécologue et militante proavortement Elisabetta Canitano.

Elle cite notamment le Mater Olbia Hospital, établissement flambant neuf situé en Sardaigne et détenu par le Qatar, et l'hôpital Gemelli de Rome (géré par le Vatican). Le centre hospitalier universitaire Gemelli est aussi le siège d'une des facultés de médecine les plus réputées d'Italie.

«L'Église a toujours été intéressée par l'éducation et la santé et lorsque cette génération de gynécologues aura disparu, il n'y aura personne pour la remplacer», craint Mme Canitano qui travaille pour l'association «Vita di Donna» («Vie de Femme») qui assiste les femmes sur les questions de santé.

Elle s'inquiète de la situation critique de certaines femmes étrangères, souvent d'origine africaine, réfugiées ou prostituées, obligées d'avorter dans la clandestinité.

«La situation est aussi délicate pour les avortements thérapeutiques. On fait naître des enfants dont on sait qu'ils ne vivront pas parce c'est Dieu qui te l'a donné et Dieu qui te le reprend», explique Elisabetta Canitano.

Le médecin s'alarme aussi du nombre croissant des gynécologues objecteurs de conscience, des praticiens qui pour des raisons morales, religieuses ou personnelles se refusent à pratiquer des IVG. Selon le ministère de la Santé, ils étaient 70% en Italie en 2016, avec des pointes à plus de 90% dans plusieurs régions du sud.

Un droit «intouchable» pour l'Association des médecins catholiques italiens (AMCI) qui considère que la loi 194 est un texte «inique». L'association a apporté son soutien à la municipalité de Vérone.

Quelque 84.926 IVG ont été pratiquées en 2016 en Italie, un chiffre régulièrement en baisse et surtout près de trois fois inférieurs au record de 234.801, en 1982.

Des chiffres trompeurs selon l'AMCI qui estime à quelque 405.000 le nombre d'IVG médicamenteuses pratiquées en 2016, et qu'elle qualifie «d'avortements cachés».

L'AMCI inclut dans ces chiffres l'usage de la pilule du lendemain (à visée contraceptive d'urgence et qui est en vente libre en Italie pour les femmes majeures) et de la pilule abortive (administrée en milieu hospitalier).

 

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